Ce cher Calvin !

La liste de maladies dont souffrait Calvin ferait grimacer n’importe qui : pierres aux reins, néphrite (infection rénale), hémorroïdes, migraines prolongées, tuberculose pulmonaire chronique, parasites intestinaux, colon spasmodique, arthrite. C’est ce qui explique sans doute sa réputation d’irascibilité! Thédore Baza, son successeur à Genève, écrivit de lui « Un corps fragile mâté par un esprit déterminé ». Néanmoins, malgré ses souffrances, Calvin alla jusqu’à prêcher huit jours avant de mourir. Armé d’une consécration indéfectible, il insista pour qu’on le porte vers la chaire sur une chaise. Une partie de la dédicace de son livre Commentaire sur 2 Thessaloniciens l’exprime bien : « Mon ministère…m’est plus précieux que ma vie. » Il dormait peu mais était capable d’extraordinaires efforts intellectuels. On estime qu’il prêcha au-delà de 4,000 sermons (dont 1,500 ont été conservés), commençant souvent à 6 h du matin. Son premier ouvrage fut un essai sur l’éthique politique.

Jean Cauvin (en latin « Calvinus » puis abrégé pour « Calvin ») naquit dans une famille bourgeoise le 10 juillet 1509 dans la ville de Noyon en France, 50 milles au nord-est de Paris. À l’âge de onze ans, il alla étudier à Paris, au Collège de la Marche et y amorça des études sur le latin (la langue des érudits au 16e siècle), maîtrisant la langue par le biais de la mémorisation des règles au moyen de vers (strophes) – un total de 2645 lignes! Par la suite, au Collège Montaigu, il fut exposé à la théologie évangélique des réformateurs allemands.

Son père l’envoya à la faculté de droit de l’université d’Orléans où on lui conféra son doctorat à l’âge de 23 ans. Pourtant, Calvin n’était pas attiré par le droit mais plutôt par les langues et la littérature de l’Antiquité; il y étudia également la philosophie humaniste (1) d’Érasme (tous les grands réformateurs étaient d’abord formés comme humanistes, la seule exception étant Martin Luther). Puis il fut attiré par les réformes de l’Église, connues sous le nom de protestantisme. Calvin et son ami Nicolas Cop essayèrent de structurer les nouvelles idées religieuses. Toutefois, à la fin de 1533, le Parlement français considéra ce mouvement perturbateur pour la paix civile et exila Cop et Calvin.

Puis en 1534, quelque chose arriva qui changea l’érudit humaniste en un théologien, prédicateur et pasteur. Toujours peu enclin à attirer l’attention sur lui, Calvin resta réticent quant aux détails de sa conversion. Tout ce que nous savons, c’est ce qu’il écrit dans la préface de son Commentaire sur les Psaumes : « …par une conversion subite, Dieu dompta et rangea à docilité mon coeur… »

À partir de là, Calvin s’associa ouvertement aux hommes dont la théologie était « douteuse ». La méfiance tourna rapidement en persécution, et le roi en vint à promulguer un édit contre le « luthéranisme ».

Puis il entreprit son principal ouvrage connu, Institution de la religion chrétienne. Cet ouvrage devint l’écrit le plus important de l’ère de la Réforme. Son influence est inestimable. Bien que celle-ci ait été plus apparente en Écosse et aux Pays-Bas, l’apport de l’Institution se voit facilement dans plusieurs contextes et pays : le livre de prière anglican, le puritanisme du dix- septième siècle, le congrégationalisme de la Nouvelle-Angleterre, et la théologie du Grand Réveil du dix-huitième siècle. La première édition parut en 1536, puis fut révisée plusieurs fois jusqu’à son édition finale, en 1559. Fondé sur une lecture littérale des Écritures, cet ouvrage fut considéré comme le modèle par excellence de la façon dont l’adoration doit être pratiquée. Les deux idées centrales en sont la propagation de la Parole de Dieu et une excellence morale, et ces deux principes se retrouvent dans tous les ouvrages subséquents de Calvin.

Calvin revint de Paris à Strasbourg en 1536, pour y rencontrer d’autres réformateurs. Mais une guerre sévissait à ce moment-là dans l’est de la France et il fut contraint de faire un détour par Genève. Il se présenta à Guillaume Farel, réfugié français venu prêcher la nouvelle foi, qui convainquit Calvin, alors âgé de vingt-sept ans, à rester comme prédicateur itinérant. Calvin fut rapidement reconnu comme leader protestant de grand talent. Même s’il fut le principal penseur de la Réforme et son écrivain le plus prolifique, il n’était pas un ermite universitaire à qui l’on garantissait la solitude aux fins de recherche et de rédaction. Il était plutôt un pasteur qui devait prêcher (chaque jour!), visiter les malades, juger les litiges de la congrégation et conseiller les paroissiens qui avait péché notoirement. La forte influence de Calvin sur les citoyens devint très vite évidente. Il y avait eu des lignes de conduite morales à Genève depuis longtemps mais elles n’avaient jamais été mises en application. Calvin affirma que quiconque n’observerait pas le code moral strict serait sévèrement puni. Mais les gens de Genève avaient peine à accepter que le pouvoir de Farel et Calvin, deux français, aille au-delà de la religion. Les foules genevoises manifestèrent devant sa maison, menaçant de le jeter dans la rivière. Les magistrats de la ville lui octroyèrent trois jours pour quitter. Au printemps de 1538, Farel et Calvin furent expulsés par les magistrats et se réfugièrent à Basel.

À Strasbourg, principale ville de refuge pour les protestants persécutés en provenance de la France, Calvin y retrouva Martin Bucer, leader de l’église réformée. Même si les citoyens parlaient en grande partie l’allemand et que sa congrégation était petite, il y vécut heureux pendant trois ans et épousa Idelette de Bure, une veuve ayant deux enfants. Elle s’avéra être une compagne précieuse et elle lui donna trois enfants, lesquels moururent tous en bas âge. Calvin voulait que l’église française de Strasbourg soit un modèle pour ce qu’il avait en tête.

Quant à Genève, maintenant dépourvu du leadership de l’homme qu’elle avait expulsé, la ville dégénéra rapidement; c’était le chaos politique et religieux total. Le conseil de ville le pressa de revenir comme leader principal de l’église réformée. Après une longue hésitation, il accepta et revint à Genève le 13 septembre 1541. Même s’il n’eut aucun rôle de prédicateur, à partir de ce moment jusqu’à sa mort, il fut le législateur virtuel de Genève. On le consulta dans divers domaines tels la loi, la police, la diplomatie étrangère, l’hygiène publique. Calvin rédigea les lois régissant l’église réformée (1541) ainsi que la Constitution de la République genevoise (1543).

Calvin croyait que l’autorité de l’église était supérieure à celle des politiciens mais l’aristocratie genevoise refusa toujours de se soumettre à sa discipline. En mai 1555, les nobles se levèrent et protestèrent quant au nombre de réfugiés dans la ville et certains contestataires furent exécutés. Après, le gouvernement de la ville fut favorable à Calvin pendant les neuf dernières années de sa vie. En accordant la citoyenneté à un grand nombre de réfugiés religieux, la nouvelle doctrine fut finalement adoptée. Les réfugiés devinrent une élite morale et intellectuelle, laquelle forma les piliers de l’économie si prospère. Il encouragea les arts, l’éducation, la science et l’économie et sous Calvin, la ville devint florissante; la ville protestante la plus importante de l’Europe au seizième siècle. Sous Calvin, Genève fut appelée la « Rome protestante » et elle devint un bastion de la moralité religieuse.

Calvin était une personne qui confrontait. Pour que le protestantisme soit accepté, il devait déployer une grande énergie, ainsi que rigueur et persévérance. Il n’était jamais satisfait de lui-même. La contribution de Calvin fut immense. Outre l’Institution de la religion chrétienne (1700 pages), il écrivit des commentaires sur presque tous les livres de la Bible, plusieurs traités sur d’importantes controverses théologiques, des milliers de sermons (342 au total sur le livre d’Ésaïe seul), et de nombreuses lettres. Calvin affirma que chaque croyant doit avoir une certaine dose de finesse théologique au risque d’être à la merci de tout vent théologique. Dans ses nombreux écrits, il s’avéra être à la langue française ce que Shakespeare fut pour la langue anglaise.

Calvin écrivit sa dernière lettre à son plus cher ami, Guillaume Farel, quelques jours avant sa mort (le 27 mai 1564) : « Il suffit que je vive et meure pour Christ, lequel est pour tous ceux qui le suivent un gain dans la vie et dans la mort. » Sa pierre tombale ne comporte aucun écrite et pourtant son empreinte, sur des sujets aussi divers que l’art, l’économie et la politique, est indélébile. Mais encore, c’est à titre de théologien que Calvin s’illustra.

(1) L’humaniste désigne celui qui s’est spécialisé dans les studia humanitatis, les humanités, les études littéraires ou encore, selon l’heureuse expression de Cicéron, les études dignes de l’homme, les études qui rendent l’homme meilleur et davantage humain. Donc un sens purement scolaire, en l’occurrence une spécialisation universitaire. Tiré des Études et recherches d’Auteuil.

 

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